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Conte de celui qui partit pour apprendre la peur
Conte de celui qui partit pour apprendre la peur Märchen

Conte de celui qui partit pour apprendre la peur - Contes des Frères Grimm

Temps de lecture pour enfants: 26 min

Attention : C'est une histoire qui fait peur.

Un père avait deux fils; le premier était réfléchi et intelligent; il savait se tirer de toute aventure. Le cadet en revanche était sot, incapable de comprendre et d’apprendre. Quand les gens le voyaient, ils disaient: „Avec lui, son père n’a pas fini d’en voir.“ Quand il y avait quelque chose à faire, c’était toujours à l’aîné que revenait la tâche, et si son père lui demandait d’aller chercher quelque chose, le soir ou même la nuit, et qu’il fallait passer par le cimetière ou quelque autre lieu terrifiant, il répondait: „Oh non! père, je n’irai pas, j’ai peur.“ Car il avait effectivement peur. Quand, à la veillée, on racontait des histoires à donner la chair de poule, ceux qui les entendaient disaient parfois: „Ça me donne le frisson!“ Le plus jeune des fils, lui, assis dans son coin, écoutait et n’arrivait pas à comprendre ce qu’ils voulaient dire. „Ils disent toujours: „Ça me donne la chair de poule! ça me fait frissonner! Moi, jamais! Voilà encore une chose à laquelle je ne comprends rien.“

Il arriva qu’un jour son père lui dit: „Écoute voir, toi, là dans ton coin! Tu deviens grand et fort. Il est temps que tu apprennes à gagner ton pain. Tu vois comme ton frère se donne du mal.“ – „Eh! père,“ répondit-il, „j’apprendrais bien volontiers. Si c’était possible, je voudrais apprendre à frissonner. C’est une chose que j’ignore totalement.“ Lorsqu’il entendit ces mots, l’aîné des fils songea: „Seigneur Dieu! quel crétin que mon frère! Il ne fera jamais rien de sa vie.“ Le père réfléchit et dit: „Tu apprendras bien un jour à avoir peur. Mais ce n’est pas comme ça que tu gagneras ton pain.“

Peu de temps après, le bedeau vint en visite à la maison. Le père lui conta sa peine et lui expliqua combien son fils était peu doué en toutes choses. „Pensez voir! Quand je lui ai demandé comment il ferait pour gagner son pain, il a dit qu’il voulait apprendre à frissonner!“ – „Si ce n’est que ça,“ répondit le bedeau, „je le lui apprendrai. Confiez-le-moi.“ Le père était content; il se disait: „On va le dégourdir un peu.“ Le bedeau l’amena donc chez lui et lui confia la tâche de sonner les cloches. Au bout de quelque temps, son maître le réveilla à minuit et lui demanda de se lever et de monter au clocher pour carillonner. „Tu vas voir ce que c’est que d’avoir peur,“ songeait-il. Il quitta secrètement la maison et quand le garçon fut arrivé en haut du clocher, comme il s’apprêtait à saisir les cordes, il vit dans l’escalier, en dessous de lui, une forme toute blanche. „Qui va là?“ cria-t-il. L’apparition ne répondit pas, ne bougea pas. „Réponds!“ cria le jeune homme. „Ou bien décampe! Tu n’as rien à faire ici!“ Le bedeau ne bougeait toujours pas. Il voulait que le jeune homme le prit pour un fantôme. Pour la deuxième fois, celui-ci cria: „Que viens-tu faire ici? Parle si tu es honnête homme. Sinon je te jette au bas de l’escalier.“ Le bedeau pensa: „Il n’en fera rien.“ Il ne répondit pas et resta sans bouger. Comme s’il était de pierre. Alors le garçon l’avertit pour la troisième fois et comme le fantôme ne répondait toujours pas, il prit son élan et le précipita dans l’escalier. L’apparition dégringola d’une dizaine de marches et resta là allongée. Le garçon fit sonner les cloches, rentra à la maison, se coucha sans souffler mot et s’endormit. La femme du bedeau attendit longtemps son mari. Mais il ne revenait pas. Finalement, elle prit peur, réveilla le jeune homme et lui demanda: „Sais-tu où est resté mon mari? Il est monté avant toi au clocher.“ – „Non,“ répondit-il, „je ne sais pas. Mais il y avait quelqu’un dans l’escalier et comme cette personne ne répondait pas à mes questions et ne voulait pas s’en aller, je l’ai prise pour un coquin et l’ai jetée au bas du clocher. Allez-y, vous verrez bien si c’était votre mari. Je le regretterais.“ La femme s’en fut en courant et découvrit son mari gémissant dans un coin, une jambe cassée.

Elle le ramena à la maison, puis se rendit en poussant de grands cris chez le père du jeune homme: „Votre garçon a fait des malheurs,“ lui dit-elle. „Il a jeté mon mari au bas de l’escalier, où il s’est cassé une jambe. Débarrassez notre maison de ce vaurien!“ Le père était bien inquiet. Il alla chercher son fils et lui dit: „Quelles sont ces façons, mécréant! C’est le diable qui te les inspire!“ – „Écoutez-moi, père,“ répondit-il. „Je suis totalement innocent. Il se tenait là, dans la nuit, comme quelqu’un qui médite un mauvais coup. Je ne savais pas qui c’était et, par trois fois, je lui ai demandé de répondre ou de partir.“ – „Ah!“ dit le père, „tu ne me feras que des misères. Disparais!“ – „Volontiers, père. Attendez seulement qu’il fasse jour. Je voyagerai pour apprendre à frissonner. Comme ça, je saurai au moins faire quelque chose pour gagner mon pain.“ – „Apprends ce que tu veux,“ dit le père. „Ça m’est égal! Voici cinquante talents, va par le monde et surtout ne dis à personne d’où tu viens et qui est ton père.“ – „Qu’il en soit fait selon votre volonté, père. Si c’est là tout ce que vous exigez, je m’y tiendrai sans peine.“

Quand vint le jour, le jeune homme empocha les cinquante talents et prit la route en se disant: „Si seulement j’avais peur! si seulement je frissonnais!“Arrive un homme qui entend les paroles que le garçon se disait à lui-même. Un peu plus loin, à un endroit d’où l’on apercevait des gibets, il lui dit: „Tu vois cet arbre? Il y en a sept qui s’y sont mariés avec la fille du cordier et qui maintenant prennent des leçons de vol. Assieds-toi là et attends que tombe la nuit. Tu sauras ce que c’est que de frissonner.“ – „Si c’est aussi facile que ça,“ répondit le garçon, „c’est comme si c’était déjà fait. Si j’apprends si vite à frissonner, je te donnerai mes cinquante talents. Tu n’as qu’à revenir ici demain matin.“ Le jeune homme s’installa sous la potence et attendit que vînt le soir. Et comme il avait froid, il alluma du feu. À minuit le vent était devenu si glacial que, malgré le feu, il ne parvenait pas à se réchauffer. Et les pendus s’entrechoquaient en s’agitant de-ci, de-là. Il pensa: „Moi, ici, près du feu, je gèle. Comme ils doivent avoir froid et frissonner, ceux qui sont là-haut!“ Et, comme il les prenait en pitié, il appliqua l’échelle contre le gibet, l’escalada, décrocha les pendus les uns après les autres et les descendit tous les sept.

Conte de celui qui partit pour apprendre la peur Conte merveilleuxImage: Paul Hey (1867 – 1952)

Il attisa le feu, souffla sur les braises et disposa les pendus tout autour pour les réchauffer. Comme ils ne bougeaient pas et que les flammes venaient lécher leurs vêtements, il dit: „Faites donc attention! Sinon je vais vous rependre là-haut!“ Les morts, cependant, n’entendaient rien, se taisaient et laissaient brûler leurs loques. Le garçon finit par se mettre en colère. „Si vous ne faites pas attention,“ dit-il, „je n’y puis rien! Je n’ai pas envie de brûler avec vous.“ Et, l’un après l’autre, il les raccrocha au gibet. Il se coucha près du feu et s’endormit. Le lendemain, l’homme s’en vint et lui réclama les cinquante talents: „Alors, sais-tu maintenant ce que c’est que d’avoir le frisson?“ lui dit-il. „Non,“ répondit le garçon, „d’où le saurais-je? Ceux qui sont là-haut n’ont pas ouvert la bouche, et ils sont si bêtes qu’ils ont laissé brûler les quelques hardes qu’ils ont sur le dos.“ L’homme comprit qu’il n’obtiendrait pas les cinquante talents ce jour-là et s’en alla en disant: „Je n’ai jamais vu un être comme celui-là!“

Le jeune homme reprit également sa route et se dit à nouveau, parlant à haute voix: „Ah! si seulement j’avais peur! Si seulement je savais frissonner!“ Un cocher qui marchait derrière lui l’entendit et demanda: „Qui es-tu?“ – „Je ne sais pas,“ répondit le garçon. Le cocher reprit: „D’où viens-tu?“ – „Je ne sais pas,“ rétorqua le jeune homme. „Qui est ton père?“ – „Je n’ai pas le droit de le dire.“ – „Que marmonnes-tu sans cesse dans ta barbe?“ – „Eh!“ répondit le garçon, „je voudrais frissonner. Mais personne ne peut me dire comment j’y arriverai.“ – „Cesse de dire des bêtises!“ reprit le cocher. „Viens avec moi!“ Le jeune homme accompagna donc le cocher et, le soir, ils arrivèrent à une auberge avec l’intention d’y passer la nuit. En entrant dans sa chambre, le garçon répéta à haute et intelligible voix: „Si seulement j’avais peur! Si seulement je savais frissonner!“ L’aubergiste l’entendit et dit en riant: „Si vraiment ça te fait plaisir, tu en auras sûrement l’occasion chez moi.“ – „Tais-toi donc!“ dit sa femme. „À être curieux, plus d’un a déjà perdu la vie , et ce serait vraiment dommage pour ses jolis yeux s’ils ne devaient plus jamais voir la lumière du jour.“ Mais le garçon répondit: „Même s’il fallait en arriver là, je veux apprendre à frissonner. C’est d’ailleurs pour ça que je voyage.“ Il ne laissa à l’aubergiste ni trêve ni repos jusqu’à ce qu’il lui dévoilât son secret. Non loin de là, se trouvait un château maudit, dans lequel il pourrait certainement apprendre ce que c’était que d’avoir peur, en y passant seulement trois nuits. Le roi avait promis sa fille en mariage à qui tenterait l’expérience et cette fille était la plus belle qu’on eût jamais vue sous le soleil. Il y avait aussi au château de grands trésors gardés par de mauvais génies dont la libération pourrait rendre un pauvre très riche. Bien des gens étaient déjà entrés au château, mais personne n’en était jamais ressorti. Le lendemain, le jeune homme se rendit auprès du roi: „Si vous le permettez, je voudrais bien passer trois nuits dans le château.“ Le roi l’examina, et comme il lui plaisait, il répondit: „Tu peux me demander trois choses. Mais aucune d’elles ne saurait être animée et tu pourras les emporter avec toi au château.“ Le garçon lui dit alors: „Eh bien! je vous demande du feu, un tour et un banc de ciseleur avec un couteau.“

Le jour même, le roi fit porter tout cela au château. À la tombée de la nuit, le jeune homme s’y rendit, alluma un grand feu dans une chambre, installa le tabouret avec le couteau tout à côté et s’assit sur le tour. „Ah! si seulement je pouvais frissonner!“ dit-il. „Mais ce n’est pas encore ici que je saurai ce que c’est.“ Vers minuit, il entreprit de ranimer son feu. Et comme il soufflait dessus, une voix retentit tout à coup dans un coin de la chambre: „Hou, miaou, comme nous avons froid!“ – „Bande de fous!“ s’écria-t-il. „Pourquoi hurlez-vous comme ça? Si vous avez froid, venez ici, asseyez-vous près du feu et réchauffez-vous!“ À peine eut-il prononcé ces paroles que deux gros chats noirs, d’un bond formidable, sautèrent vers lui et s’installèrent de part et d’autre du garçon en le regardant d’un air sauvage avec leurs yeux de braise. Quelque temps après, s’étant réchauffés, ils dirent: „Si nous jouions aux cartes, camarade?“ – „Pourquoi pas!“ répondit-il, „mais montrez-moi d’abord vos pattes.“ Les chats sortirent leurs griffes. „Holà!“ dit-il. „Que vos ongles sont longs! attendez! il faut d’abord que je vous les coupe.“ Il les prit par la peau du dos, les posa sur l’étau et leur y coinça les pattes. „J’ai vu vos doigts,“ dit-il, „j’en ai perdu l’envie de jouer aux cartes.“ Il les tua et les jeta par la fenêtre dans l’eau d’un étang. À peine s’en était-il ainsi débarrassé que de tous les coins et recoins sortirent des chats et des chiens, tous noirs, tirant des chaînes rougies au feu. Il y en avait tant et tant qu’il ne pouvait leur échapper. Ils criaient affreusement, dispersaient les brandons du foyer, piétinaient le feu, essayaient de l’éteindre. Tranquillement, le garçon les regarda faire un moment. Quand il en eut assez, il prit le couteau de ciseleur et dit: „Déguerpissez, canailles!“ Et il se mit à leur taper dessus. Une partie des assaillants s’enfuit; il tua les autres et les jeta dans l’étang. Puis il revint près du feu, le ranima en soufflant sur les braises et se réchauffa. Bientôt, il sentit ses yeux se fermer et eut envie de dormir. Il regarda autour de lui et vit un grand lit, dans un coin. „Voilà ce qu’il me faut,“ dit-il. Et il se coucha. Comme il allait s’endormir, le lit se mit de lui-même à se déplacer et à le promener par tout le château. „Très bien!“ dit-il. „Plus vite!“ Le lit partit derechef comme si une demi-douzaine de chevaux y étaient attelés, passant les portes, montant et descendant les escaliers. Et tout à coup, il versa sens dessus dessous hop! et le garçon se retrouva par terre avec comme une montagne par-dessus lui.

Il se débarrassa des couvertures et des oreillers, se faufila de dessous le lit et dit: „Que ceux qui veulent se promener se promènent.“ Et il se coucha auprès du feu et dormit jusqu’au matin. Le lendemain, le roi s’en vint au château. Quand il vit le garçon étendu sur le sol, il pensa que les fantômes l’avaient tué. Il murmura: „Quel dommage pour un si bel homme!“ Le garçon l’entendit, se leva, et dit: „Je n’en suis pas encore là!“ Le roi s’étonna, se réjouit et lui demanda comment les choses s’étaient passées. „Très bien. Voilà une nuit d’écoulée, les autres se passeront bien aussi.“ Quand il arriva chez l’aubergiste, celui-ci ouvrit de grands yeux. „Je n’aurais jamais pensé,“ dit-il, „que je te reverrais vivant. As-tu enfin appris à frissonner?“ – „Non!“ répondit-il, „tout reste sans effet. Si seulement quelqu’un pouvait me dire comment faire!“

Pour la deuxième nuit, il se rendit à nouveau au château, s’assit auprès du feu et reprit sa vieille chanson: „Ah! si seulement je pouvais frissonner.“ À minuit on entendit des bruits étranges. D’abord doucement, puis toujours plus fort, puis après un court silence, un grand cri. Et la moitié d’un homme arrivant par la cheminée tomba devant lui. „Holà!“ cria-t-il. „Il en manqua une moitié. Ça ne suffit pas comme ça!“ Le vacarme reprit. On tempêtait, on criait. Et la seconde moitié tomba à son tour de la cheminée. „Attends,“ dit le garçon, „je vais d’abord ranimer le feu pour toi.“ Quand il l’eut fait, il regarda à nouveau autour de lui: les deux moitiés s’étaient rassemblées et un homme d’affreuse mine s’était assis à la place qu’occupait le jeune homme auparavant. „Ce n’est pas ce que nous avions convenu,“ dit-il. „Ce tour est à moi!“ L’homme voulut l’empêcher de s’y asseoir mais il ne s’en laissa pas conter. Il le repoussa avec violence et reprit sa place. Beaucoup d’autres hommes se mirent alors à dégringoler de la cheminée les uns après les autres et ils apportaient neuf tibias et neuf têtes de mort avec lesquels ils se mirent à jouer aux quilles. Le garçon eut envie d’en faire autant. „Dites, pourrais-je jouer aussi?“ – „Oui, si tu as de l’argent.“ – „J’en ai bien assez,“ répondit-il, „mais vos boules ne sont pas rondes.“ Il prit les têtes de mort, s’installa à son tour et en fit de vraies boules. „Comme ça elles rouleront mieux,“ dit-il. „En avant! On va rire!“ Il joua et perdit un peu de son argent. Quand sonna une heure, tout avait disparu. Au matin, le roi vint aux renseignements. „Que t’est-il arrivé cette fois-ci?“ demanda-t-il. „J’ai joué aux quilles,“ répondit le garçon, „et j’ai perdu quelques deniers.“ – „Tu n’as donc pas eu peur?“ – „Eh! non!“ dit-il, „je me suis amusé! Si seulement je savais frissonner!“

La troisième nuit, il s’assit à nouveau sur son tour et dit tristement: „Si seulement je pouvais frissonner!“ Quand il commença à se faire tard, six hommes immenses entrèrent dans la pièce portant un cercueil. „Hi! Hi! Hi!“ dit le garçon, „voilà sûrement mon petit cousin qui est mort il y a quelques jours seulement.“ Du doigt, il fit signe au cercueil et s’écria: „Viens, petit cousin, viens!“ Les hommes posèrent la bière sur le sol; il s’en approcha et souleva le couvercle. Un mort y était allongé. Il lui toucha le visage. Il était froid comme de la glace. „Attends,“ dit-il, „je vais te réchauffer un peu.“ Il alla près du feu, s’y réchauffa la main et la posa sur la figure du mort. Mais celui-ci restait tout froid. Alors il le sortit du cercueil, s’assit près du feu et l’installa sur ses genoux en lui frictionnant les bras pour rétablir la circulation du sang. Comme cela ne servait à rien, il songea tout à coup qu’il suffit d’être deux dans un lit pour avoir chaud. Il porta le cadavre sur le lit, le recouvrit et s’allongea à ses côtés. Au bout d’un certain temps, le mort se réchauffa et commença à bouger. „Tu vois, petit cousin,“ dit le jeune homme, „ne t’ai-je pas bien réchauffé?“ Mais le mort, alors, se leva et s’écria: „Maintenant, je vais t’étrangler!“ – „De quoi!“ dit le garçon, „c’est comme ça que tu me remercies? Retourne au cercueil!“ Il le ceintura, et le jeta dans la bière en refermant le couvercle. Les six hommes arrivèrent alors et l’emportèrent. „Je ne réussis pas à frissonner,“ dit-il. „Ce n’est décidément pas ici que je l’apprendrai.“

À ce moment précis entra un homme plus grand que tous les autres et qui avait une mine effrayante. Il était vieux et portait une longue barbe blanche. „Pauvre diable,“ lui dit-il, „tu ne tarderas pas à savoir ce que c’est que de frissonner: tu vas mourir!“ – „Pas si vite!“ répondit le garçon. „Pour que je meure, il faudrait d’abord que vous me teniez.“ – „Je finirai bien par t’avoir!“ dit le monstrueux bonhomme. „Tout doux, tout doux! ne te gonfle pas comme ça! je suis aussi fort que toi. Et même bien plus fort!“ – „C’est ce qu’on verra,“ dit le vieux. „Si tu es plus fort que moi, je te laisserai partir. Viens, essayons!“ Il le conduisit par un sombre passage dans une forge, prit une hache et d’un seul coup, enfonça une enclume dans le sol. „Je ferai mieux,“ dit le jeune homme en s’approchant d’une autre enclume. Le vieux se plaça à côté de lui, laissant pendre sa barbe blanche. Le garçon prit la hache, fendit l’enclume d’un seul coup et y coinça la barbe du vieux. „Et voilà! je te tiens!“ dit-il, „à toi de mourir maintenant!“ Il saisit une barre de fer et se mit à rouer de coups le vieux jusqu’à ce que celui-ci éclatât en lamentations et le suppliât de s’arrêter en lui promettant mille trésors.

Conte de celui qui partit pour apprendre la peur Conte merveilleuxImage: Paul Hey (1867 – 1952)

Le jeune homme débloqua la hache et libéra le vieux qui le reconduisit au château et lui montra, dans une cave, trois caisses pleines d’or. „Il y en a une pour les pauvres, une pour le roi et la troisième sera pour toi,“ lui dit-il. Sur quoi, une heure sonna et le méchant esprit disparut. Le garçon se trouvait au milieu d’une profonde obscurité. „Il faudra bien que je m’en sorte,“ dit-il. Il tâtonna autour de lui, retrouva le chemin de sa chambre et s’endormit auprès de son feu. Au matin, le roi arriva et dit: „Alors, as-tu appris à frissonner?“ – „Non,“ répondit le garçon, „je ne sais toujours pas. J’ai vu mon cousin mort et un homme barbu est venu qui m’a montré beaucoup d’or. Mais personne ne m’a dit ce que signifie frissonner.“ Le roi dit alors: „Tu as libéré le château de ses fantômes et tu épouseras ma fille.“ – „Bonne chose!“ répondit-il, „mais je ne sais toujours pas frissonner.“

On alla chercher l’or et les noces furent célébrées. Mais le jeune roi continuait à dire: „Si seulement j’avais peur, si seulement je pouvais frissonner!“ La reine finit par en être contrariée. Sa camériste dit: „Je vais l’aider à frissonner! Je vais l’aider à frissonner!“ Elle se rendit sur les bords du ruisseau qui coulait dans le jardin et se fit donner un plein seau de goujons. Durant la nuit, alors que son époux dormait, la princesse retira les couvertures et versa sur lui l’eau et les goujons, si bien que les petits poissons frétillaient tout autour de lui. Il s’éveilla et cria: „Ah! comme je frissonne, chère femme! Ah! Oui, maintenant je sais ce que c’est que de frissonner.“

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Contexte

Interprétations

Langue

Le conte „Conte de celui qui partit pour apprendre la peur“ des Frères Grimm raconte l’histoire d’un jeune homme un peu simplet qui ne connaît pas la peur et se lance dans une quête pour apprendre à frissonner. On moque son ignorance, mais lui persiste dans l’idée qu’il doit découvrir ce que signifie vraiment avoir peur pour véritablement gagner sa vie.

Après une série d’épisodes où le garçon ne parvient pas à éprouver la moindre peur, même en face des événements les plus cauchemardesques — comme lorsqu’il passe la nuit dans un château hanté ou qu’il dégringole les escaliers avec un fantôme — il finit par triompher des épreuves sans jamais ressentir de frisson véritable. Le jeune homme réussit à délivrer un château de ses esprits et finit par épouser la princesse, comme promis par le roi. Malgré ses exploits, il répète sans cesse qu’il aimerait savoir ce que cela fait d’avoir peur.

Dans un dernier coup de théâtre, l’épouse du jeune homme, exaspérée par son obsession, décide de simuler une situation effrayante en lui versant de l’eau froide et des poissons sur lui pendant qu’il dort. Le frisson glacé le réveille soudainement, lui donnant enfin la sensation qu’il cherchait désespérément. Ainsi, le conte se termine avec un peu d’ironie, soulignant que finalement, ce qui lui provoque la peur est quelque chose de simple et ordinaire.

„Conte de celui qui partit pour apprendre la peur“ est un conte des frères Grimm qui explore les thèmes de l’innocence, de la curiosité, et de la bravoure. Le récit suit le voyage initiatique d’un jeune homme naïf, qui ne connaît pas le sentiment de la peur et souhaite apprendre à frissonner. Dans sa quête, il rencontre des situations variées et effrayantes, mais reste toujours imperturbable et plein de bon sens. Ironiquement, alors qu’il traverse des épreuves qui terroriseraient quiconque, il ne parvient jamais à ressentir la peur.

Ignorance et Curiosité : Le protagoniste ne comprend pas ce que signifie „frissonner“, soulignant une innocence enfantine. Cela motive son désir d’apprendre, mais aussi le rend insensible aux dangers réels.

Transcendance des Peurs : À travers divers défis, y compris des rencontres avec des fantômes et des situations dangereuses, le jeune homme fait preuve d’une bravoure involontaire. Cela montre que parfois, la méconnaissance des dangers peut conduire à surmonter la peur.

Humour et Absurde : Le conte est parsemé d’humour et d’absurdité. Que ce soit dans sa manière de traiter les situations effrayantes ou son interaction avec les personnages étranges qu’il rencontre, l’attitude du garçon prend souvent un tour comique.

Quête de Connaissance et de Maturité : Bien que le jeune homme n’apprenne jamais à frissonner de manière conventionnelle, son périple peut être interprété comme une métaphore de la transition de l’enfance à l’âge adulte, où il finit par gagner richesse et statut malgré lui.

Récompense Inattendue : Ses aventures lui valent la main d’une princesse et la découverte de trésors, illustrant comment la simplicité d’esprit et le courage peuvent conduire à des récompenses imprévues.

Enfin, c’est ironiquement par une farce de sa femme que le jeune homme apprend finalement à frissonner, avec l’eau froide et les poissons. Cela suggère que ce qu’il cherchait était en fait une expérience physique directe, plutôt qu’une peur intellectuelle ou émotionnelle. Ce conte des frères Grimm utilise l’humour et l’absurde pour offrir une leçon subtile sur la nature de la peur et la façon dont elle est souvent plus une question de perception que de réalité.

Le conte „Conte de celui qui partit pour apprendre la peur“ des Frères Grimm est une exploration de l’irrationalité de la peur et de l’ignorance ainsi que de l’innocence enfantine.

Caractères et dialogue: Le conte utilise un contraste marqué entre les deux frères pour développer le thème de l’ignorance et du courage. Le plus jeune des fils, bien qu’il soit considéré comme stupide par son entourage, ne ressent pas la peur naturelle que tous les autres semblent éprouver. Ses dialogues sont souvent innocents et directs, exprimant son désir de connaître ce qu’est le frisson. Ses interactions et son incapacité à comprendre les dangers ou les situations effrayantes soulignent la nature comique et absurde de son voyage.

Répétition et motifs: Les phrases telles que „Si seulement j’avais peur! Si seulement je savais frissonner!“ sont répétées tout au long du conte. Cette répétition renforce l’obsession et la mission du jeune homme. L’usage de motifs récurrents, notamment les rencontres avec des figures terrifiantes (comme les chats, les morts-vivants, et l’homme barbu), souligne l’aspect initiatique de son voyage et met en exergue son incapacité à expérimenter la peur.

Structure narrative

Le conte suit une structure tripartite classique des contes: départ, épreuve, et conclusion/mariage. Le personnage principal subit plusieurs épreuves, généralement en escalade, pour finalement atteindre l’apogée où l’idée de frissonner est réalisée par un acte extrêmement banal – avoir de l’eau froide avec des poissons déversée sur lui par sa femme.

Symbolisme: Divers éléments symboliques sont utilisés pour représenter des peurs communes ou des défis: les fantômes symbolisant la peur de l’inconnu et de l’au-delà, les animaux noirs associés à la malchance ou à la sorcellerie et le château hanté représentant l’apogée des défis. Cependant, ce symbolisme est inversé par le protagoniste qui n’accorde aucun sens particulier à ces événements, décrivant une vision alternative de la bravoure ou de la simple ignorance.

Humour et ironie: Le ton humoristique est omniprésent dans l’histoire. L’ironie découle du décalage entre le sérieux avec lequel les autres personnages perçoivent les situations et la manière désinvolte dont le protagoniste les traite. Les scènes qui pourraient être effrayantes sont souvent accompagnées de gestes amusants du jeune homme qui prend ces situations littéralement et sans émotion.

Étude des valeurs: Au-delà de la surface humoristique, l’histoire pourrait remettre en question les valeurs sur le fait d’apprendre de la peur. Elle semble proposer que l’éducation et la maturité viennent de comprendre et de connaître la peur, plutôt de la ressentir de façon instinctive.

En conclusion, l’histoire relativise la peur en la présentant à travers le prisme de l’innocence et de l’humour, en mettant en avant la distinction entre perception et réalité, en développant enfin une leçon morale et philosophique sur la nature humaine et ses paradoxes.


Information pour l'analyse scientifique

Indicateur
Valeur
NuméroKHM 4
Aarne-Thompson-Uther IndiceATU Typ 326
TraductionsDE, EN, EL, DA, ES, FR, PT, FI, HU, IT, JA, NL, KO, PL, RU, TR, VI, ZH
Indice de lisibilité selon Björnsson28.3
Flesch-Reading-Ease Indice72
Flesch–Kincaid Grade-Level5.9
Gunning Fog Indice8.7
Coleman–Liau Indice9.2
SMOG Indice9.5
Index de lisibilité automatisé4
Nombre de Caractères19.420
Nombre de Lettres14.762
Nombre de Phrases322
Nombre de Mots3.475
Nombre moyen de mots par phrase10,79
Mots de plus de 6 lettres607
Pourcentage de mots longs17.5%
Nombre de syllabes5.088
Nombre moyen de syllabes par mot1,46
Mots avec trois syllabes386
Pourcentage de mots avec trois syllabes11.1%
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